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Numéro 38

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umièresINTERNATIONALESLTimisoaraFemmesPhotographes de guerreLe HAVreUn cachalot très humain MAI  JUIN 2022 - N°38VILLE-JOYAU

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D - R   Luisa PaceR   Alain Camilleri Jean-François Morel C  - W Alexandre PurenR- Andrea TrimboliR Corso Maltais Djinn & Christophe NaigeonMarina BoscoloPhilippe Wodka-Gallien Emanuele Bacigalupo Pascal CherkiA     Voljen Grbac D  - Alain Camilleri R PRomana Vitas S W  M lumieresinternationales.com info@lumieresinternationales.com IF-print.si F-agencija d.o.o.Breg ob Savi 11 4211 Mavcice SloveniaALM EDITIONS 81 rue Vercingétorix 75014 PARISÉdiTo - 5« La question qui tue »EscalEs - 6 Cap-Vert : un rude trésor atlantique VoyagEs - 8Du charme de couper à travers chantrEnconTrE - 10Vincent Crouzet, un romancier qui aime ExposiTions - 12Femmes photographes de guerreVoyagEs - 14Timisoara, Ville-JoyausciEncEs ET TEchniquEs - 18De Joseph Jacquard à Bill GatespErlEs dE culTurE - 20Eugène Christophe forge sa légendeDe la limite du test d’intelligenceBillET d’humEur - 21Oxygène ! paTrimoinE - 22Villas d’exception de la VénétiearTs - 24Le Havre, un cachalot très humainsociÉTÉ - 26Faut-il moderniser les Institutions ? Pour une justice à la portée de tousclap dE Faim - 30La PavlovaSOMMAIRE©TOUS DROITS DE REPRODUCTION RÉSERVÉS. LA RÉDACTION DÉCLINE TOUTE RESPONSABILITÉ POUR LES ERREURS OU OMISSIONS, DE QUELQUE NATURE QU’ELLES SOIENT, QUI POURRAIENT SE TROUVER DANS LA PRÉSENTE ÉDITION.REDACTIONPHOTO DE COUVERTURE de VOLJEN GRBAC prise à travers une œuvre du sculpteur roumain PAUL NEAUGU

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ÉDITOIl y a quelques jours quelqu’un m’a posé la question qui tue : « Comment prépares-tu la revue, comment choisis-tu les articles ? ». La question venait de quelqu’un que j’estime et je ne voulais pas faire mauvaise impression. Je crois avoir bafouillé quelque chose du style « Depuis le début je cherche des pépites, des sujets dont on ne parle pas assez dans les médias ou qui passent carrément à la trappe… ». Bon, je n’ai pas donné le meilleur de moi-même et j’ai été plus ou moins sauvée par le restaurateur et la carte du menu !Au fond, j’ai exprimé ce que j’ai toujours souhaité : des rubriques qui bougent, qui respirent le réel et qui ne se répètent pas. Nous venons d’élargir le spectre des sujets, en y rajoutant la politique - non militante -, l’Histoire avec un grand « H », parce que sans piqûres de rappel sur le passé nous nous mettons en péril. Le portfolio central a été éliminé, de toute manière tous nos articles sont accompagnés d’images, de photos et dans l’équipe nous avons de très bons photographes. Parfois nous devons rechercher les images soit parce que dans certaines expositions il est interdit de prendre des clichés, soit parce que photographier quelqu’un qui n’est plus de ce monde est au-dessus de nos capacités, la machine à remonter le temps n’existant pas ! « Comment structures-tu la revue ? ». La vérité est que je ne le sais pas précisément. L’instinct ? la passion ? Les évènements en cours ? Trois décennies de journalisme ? Pour dire les choses franchement, pour chaque nouveau numéro, j’ai le sentiment d’être guidée par une sorte de l rouge mental.Pour chasser les moments de doute, j’ai plaisir à me remémorer ce que m’a dit un jour l’un de nos plus dèles lecteurs : « Ce qui est bien avec Lumières, c’est qu’on peut garder les numéros et relire les anciens, c’est intem-porel ». Autant vous dire que ce genre de phrase vous aide à avancer ! Rassurez-vous. Comme tout responsable de rédaction, je bâtis un « chemin de fer » - pour les non-initiés, il s’agit d’un visuel à plat agençant les pages de la revue -. Souvent, il est raturé, revu, et corrigé. Nous avons des rubriques xes ainsi que des articles ponctuels correspondant à tel ou tel évènement parti-culier. Dans ce numéro, l’escapade des Naigeon nous amène au Cap Vert, ils y étaient il y a encore quelques jours… Pour ma part, j’ai écrit sur Timisoara, ville que j’adore et où j’ai séjourné récemment à l’occasion d’un congrès de professionnels des médias. Pour mon article, j’ai pu bénécier de l’aide d’un photographe génial, Voljen Grbac, également chanteur d’opéra de talent. L’Amiral Morel met sa plume au service de l’histoire, des voyages mais aussi des certaines expositions. Dans ce nu-méro, après les dernières élections, Alain Camilleri s’est interrogé sur l’avenir des institutions françaises. Maître Pascal Cherki, s’est penché sur la justice française.Oui ! Nous avons dans notre équipe un Amiral et un membre du bar-reau de Paris ! Sans compter les contributeurs : un ancien de la DGSE, Vincent Crouzet devenu un auteur renommé, un historien passionné, Emanuele Bacigalupo capable de fouiller dans les cartes les plus impro-bables, sans oublier évidemment notre graphiste Alexandre Puren dont la patience est légendaire !« LA QUESTION QUI TUE »5Luisa Pace

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6l’eau déposée dans leurs cratères ; nous avons grimpé les vertigineuses routes de basalte noir, jusqu’aux nuages des montagnes, là où le maïs ne trouve en guise d’arrosage que la rosée que dépose la brume noc-turne. Entre les deux, des hommes et des femmes avec des masses et des burins qui s’acharnaient à re-mettre un peu d’horizontalité dans ce paysage oblique. Santiago, Santo Antaõ, de crêtes en abîmes, comme dans une chambre à écho, monte un air d’accordéon, le braiement d’un âne chargé de canne à sucre pour le grogue, rhum local, les coups de pioche des paysans, parfois encor-dés pour ne pas tomber dans les précipices.CAP-VERT UN RUDE TRÉSOR ATLANTIQUEPREMIER VOYAGE : la chance d’être pauvre 1979. Première escale au Cap-Vert, « tout juste sorti de l’esclavage » comme on disait. En renversant Salazar, le Portugal avait largué sa colonie en plein océan. Débrouil-lez-vous. Un tas de cailloux à cinq cents kilomètres au large du Séné-gal. La légende veut que Dieu, ayant modelé l’Afrique, se redressant pour contempler son œuvre a frotté ses mains terreuses. Des morceaux sont tombés dans l’eau : l’archipel du Cap Vert. En fait d’argile, c’est de la terre volcanique sortie des grands fonds ; en fait de Dieu, c’était le ca-tho-marxisme façon catchupa, plat maïs-haricots à cuire longtemps, coupable, dit-on, de la déforesta-tion. Plateforme de tri et d’expédition lors de la Traite, étape-ravitaille-ment des voiliers sur les routes du Brésil et du cap de Bonne Espé-rance, centre de recrutement de marins pour la chasse à la baleine orissante au pays de Moby Dick, le Cap Vert a été ruiné par l’abolition de l’esclavage, les huiles de pétrole, la marine à vapeur. Des milliers de morts de faim.Pour les hommes, le seul rêve était dans la fuite à l’étranger. Boston, plus grande ville du pays. Le mal-heur et la chance du Cap Vert, c’est qu’il n’y avait rien. Ni pétrole, ni diamants pour attirer la guerre comme le grand frère angolais, pas de quoi corrompre qui que ce soit. On rencontrait le président de la République au café du coin, le mi-nistre de l’Agriculture tenait un pe-tit restaurant. D  C NSECOND VOYAGE : attendre l’eau, la retenir1987. Peu de choses avaient changé. On y cassait toujours des cailloux et on y plantait encore des centaines de milliers d’arbres. Nous avons pénétré les jardins des ribeiras, étroites vallées côtières où les volcans restituent parcimonieusement Scène de rue à Mindelo - 

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7nés à San Antaõ, notre préférée. Si vous croyez que descendre est moins fatiguant que monter, faites-vous conduire au sommet du volcan Cova et dévalez de 1300 mètres à la mer par un incroyable serpen-tin pavé qui plonge direct dans la luxuriante ribeira de Paùl. Et il y a Fogo, une île volcan, cône noir qui culmine à 2800 mètres, où poussent le café et la vigne. Le vin blanc, ap-pelé Chà (thé), va admirablement avec les poissons dont l’archipel re-gorge. Il y a aussi des bonheurs fa-ciles au Cap-Vert. Ne le répétez pas.P © D+C NLe combat à main nue contre la pierre ne sera jamais terminé. Il y aura longtemps encore de bonnes raisons de chanter la sôdade, fado blessé, plus profond, plus doulou-reux, version râpeuse et désaccor-dée de la musique la plus pauvre du Portugal. Comme le blues, un chant de malheureux qui rend les autres joyeux. Ce sera notre troisième voyage.TROISIEME VOYAGE : Cesaria, une parmi les autres1992. Le bac de Saõ Vicente, raot où l’on charge les vaches à la grue. Grande houle de travers, tout le monde est malade. Une guitare brise le silence écœuré, introduc-tion à Mindelo, capitale de la mu-sique. Rencontre :Un hangar, une estrade de patro-nage, une sono saturée, on cause sur fond de clavier électrique qui torture avec modernité la musique capverdienne. Mais, surtout, on re-garde à la dérobée une grosse dame assise dans un coin de la salle. Une, deux, trois, un bon nombre de per-sonnes posent un verre de grogue devant elle, échangent deux mots et repartent. Elle boit, sourit et remer-cie, boit, fait danser ses doigts sur la table, boit, chante quelques mesures inaudibles, boit, se lève et chaloupe vers l’orchestre. C’était sans doute le plus mauvais P G CQUATRIÈME VOYAGE : Il y a aussi des bonheurs faciles2022. Trente ans plus tard. Le Cap Vert a des routes goudronnées, des aéroports modernes, une capitale pimpante, des maisons de par-paings, jamais nies, qui eurissent partout, une grande université, une école de tourisme. Le tourisme ! Cette vague qui porte des foules à admirer ce qui n’existe plus dès qu’elle arrive, n’a pas eu raison du Cap Vert. Nous en avions peur. Il faut bien vivre. Pour simplier, il y a les îles-plages dont Sal est célèbre orchestre du Cap Vert. Cesaria a pris le micro et, chan-teuse philosophale, elle a tout changé en or. La salle a cessé de respirer et nous, on a chaviré : le swing et les dé-chirures, la sensua-lité et la solitude, la majesté et la misère de Billie Holliday. pour les sports de vagues et de vent : grands hôtels et rien à voir à part une an-cienne saline. Il y a les îles-montagnes, réser-vées aux randonneurs. Nous sommes retour-Route et terrasses en bord de mer à Santo AntaoPetit marché autour de la colonne où l’on fouetttait les esclaves insoumisUn pêcheur et sa barque

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8Ce soir-là, le soleil déclinant plon-geait dans la mer Rouge et la frégate saoudienne traçait silencieusement son sillage vers le sud, dans une mer doucement agitée par les ali-zés. Après une journée d’écrasante chaleur, ils apportaient une relative fraîcheur à la passerelle de naviga-tion où les voyants des instruments devenaient plus brillants, à mesure que l’équipe de quart s’enveloppait de pénombre. Moment magique de soulagement après une activi-té opérationnelle soutenue, où les ordres n’étaient plus donnés qu’à voix basse, comme pour respecter la grâce de cet instant suspendu.Deux ponts plus bas, au même mo-ment, l’équipage se retrouvait dans les « carrés » où l’on sert le thé, le riz et le mouton que l’on partage comme à terre. Ce peuple venu du désert de-puis des générations apprenait ainsi à être marin, à quitter la terre ferme en laissant sa famille derrière soi, parfois pour longtemps – une vraie diculté dans cette société – loin des étendues pierreuses ou dunaires qui font la beauté somptueuse et la diversité du désert arabique. Là, on ne se réunit pas sans faire un feu ou-vert, une lumière à la fois fragile et vivante dans l’immense nuit déser-tique qui génère une impression de liberté et de cohésion des humains. On n’existe pas sans les autres.C’est impossible à faire dans le monde métallique et clos de la fré-gate, sous la lumière articielle des néons, bientôt remplacés dans les coursives par l’éclairage rouge, des-tiné à conserver à chacun le rythme circadien et à favoriser l’accommo-dation de la vision en montant à la passerelle de navigation, qui deve-nait de plus en plus sombre.Au-dessus de nous, des points s’al-lumaient tour à tour sur la voûte obscure. Beaucoup d’étoiles portent des noms venus de l’arabe, comme Altaïr, Aldébaran, Rigel et Bé-telgeuse que l’on peut aussi voir en Europe. Depuis la nuit des temps, bien des capitaines leur ont coné leur route dans leurs navigations transatlantiques, pour peu que les constellations ne soient pas trop longtemps occultées par les nuages. Mais aujourd’hui, elles étaient en du charmE dE coupEr à TraVErs chanT J-F M - 

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9Orient comme chez elles, brillantes et libres de s’orir à toute vue qui s’élève vers le ciel.Soudain, j’entendis s’élever un chant derrière moi. Comment était-ce possible à bord d’un bâtiment de la Marine royale en mission ? Dicile de distinguer qui chantait ainsi dans le noir, sans réaction apparente du chef de quart qui poursuivait im-perturbablement sa navigation. Je discernai pourtant dans ce chant quelques mots d’arabe : ce sont ceux de la prière du soir, celle du coucher du soleil, et le chanteur c’est le com-mandant ! Pour un ocier français, pétri de laïcité, de réserve par rap-port au fait religieux, surtout dans l’espace dédié au travail d’un navire de l’État, c’est un hiatus, c’est une in-terrogation, c’est une mise en cause des principes acquis depuis la for-mation navale initiale.Pourtant, le chant du commandant entra peu à peu en résonance avec le sentiment de gratitude ressenti en ce début de nuit, apportant le répit d’un peu de fraîcheur et de beauté calme après l’action intensive de la journée. Il naît une envie de remer-cier parce que ce moment est donné et partagé. La frégate est certes un navire de l’État, mais c’est un État où le religieux légitime le politique, comme en France il y a plus de deux siècles. Ici, on n’ouvre pas une réu-nion sans demander au Tout-puis-sant son aide au discernement des participants et on ne la clôt pas sans le remercier pour l’avoir accordée.Alors le commandant chante la prière sur un lieu de décision opé-rationnelle parce que l’équipe de quart est la seule à ne pas pouvoir le faire. Mais pas seulement. Il lui dit aussi implicitement qu’il va se reti-rer de la passerelle pour dîner avec ses principaux adjoints et invités, et prendre ensuite le repos nécessaire de la nuit. En faisant par procura-tion le devoir religieux de l’équipe de quart, il le prend sur lui mais arme aussi en retour l’exigence du devoir militaire de mériter sa conance. Pendant son dîner et son sommeil, la frégate poursuivra sa route aux mains d’une jeune équipe, mais lui-même en restera respon-sable quoi qu’il arrive.Au-delà des grandes diérences culturelles, concevoir le comman-dement comme un service et placer la conance à la base de toutes rela-tions à bord sont partagés par tout marin qui se respecte. Le comman-dant achève son chant d’hommage à un dieu qui n’est pas le mien, alors que la frégate le vers le sud de la mer Rouge dans la toueur de la nuit étoilée. Étranger à bord, venu d’une autre culture si diérente, je me sens pourtant soudainement si proche de lui.

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10Vincent Crouzet publie sous le pseudo de Vic-tor K. une nouvelle série littéraire chez Ro-bert Laont, «Service Action», dont le second opus «Sauvez Zelensky !» vient de sortir. Le romancier, connu pour ses romans d’espionnage, voue une autre passion, celle du vin, tou-jours très présent dans ses textes. Luisa Pace : Que ce soit dans le pre-mier tome de votre série «Service Ac-tion», «Cible Sierra», ou bien dans le second, «Sauvez Zelensky», on est étonné par les références régulières à de bonnes bouteilles... Vincent Crouzet : J’ai deux grandes passions, hors l’écriture, qui m’ap-portent un plaisir inégalé : la mu-pas boire pour boire, mais décou-vrir, passer un bon moment avec les amis, voyager aussi... Le vin, comme la littérature, c’est un océan : ouvrir une bouteille, c’est aussi rêver de douceur angevine, de rudesse lan-guedocienne, de lumière sud-afri-caine, ou bien d’ailleurs chilien. Quel monde ! Quelles bouteilles, justement, ouvre-t-on dans «Sauvez Zelensky !» ?Entre eux, les agents du Service Ac-tion projetés à Kiev, s’évadent aussi avec la cuvée «Les Orientales», du domaine Rousselin, une merveille bio du Roussillon, un éclat de fruits et d’épices. Dans un sanctuaire de la DGSE on boira la cuvée «Dioterie» du remarquable domaine Joguet à Chinon, d’une si belle longueur. Et lorsque la directrice de cabinet du patron de la DGSE subtilise une bouteille de la cave du directeur général, c’est un étourdissant blanc Sine Nomine du domaine des Lau-zières dans les Alpilles, conjuguant fraîcheur, minéralité, amplitude... L Psique sacrée baroque, et le vin. L’une et l’autre sont eectivement très présentes dans mes romans. Pour la première, mon héroïne, Athéna, patronne du Service Action, aurait pu, si elle n’avait pas choisi la voie des Armées, devenir une immense soprano... Concernant le vin, cela correspond tellement à mon mode de vie, cet hédonisme raisonnable, mais encore à mes envies de ter-roirs, d’authencité, et de rencontres.En parlant de rencontres, vous avez créé un site dédié au vin et aux écri-vains... C’est ma grande erté. L’an dernier, avec deux camarades, Valentine Champetier de Ribes et Matthieu Prier, vite rejoints par le journa-liste Philippe Lemaire, nous avons imaginé un site mariant vin et lit-térature : onziemesens.com. Avec une envie majeure : créer de la ren-contre, entre écrivaines, écrivains, vignerons et vigneronnes. Mais encore mettre en valeur des person-nages du monde du vin et du livre qui participent à ce besoin de convi-vialité, qui nous porte après deux années diciles. Oui, vive le retour à la socialisation, aux échanges. Quelle est votre approche du vin ?Le plaisir, juste le plaisir et encore le plaisir, conjugué à l’émotion. Dans Onzième Sens, si l’on évoque sou-vent le ressenti de l’ivresse, on es-saie de sortir du poncif de l’écrivain alcoolique. Je fais partie de cette gé-nération qui milite pour «moins de vin, mais mieux de vin». Oui, non VincEnT crouzETALIAS VICTOR K., LE ROMANCIER QUI AIME LE MONDE DU RENSEIGNEMENT, LA MUSIQUE SACRÉE ET... LE VIN - 

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11On déguste aussi du vin dans le PC Jupiter du Palais de l’Élysée ?Oui ! Et avec gourmandise. Entre le Président de la République, et Athéna, chef du Service Action. J’ai beaucoup amusé le vigneron Joël Jacquet, en lui révélant que sa cuvée «Les Planètes» (blanc, domaine du Grand Jacquet, Ventoux) était ser-vie à l’Élysée, au grand bonheur du prince. On ressent chez vous, que le vin dé-passe le seul plaisir...Bien entendu. Il est question, aussi, de quête civilisationnelle. L’activité viticole en France a commencé sous le règne romain. En ouvrant une bouteille de viognier, on retrouve le plus vieux des cépages, planté sur nos coteaux par les Romains. Pro-mouvoir, aimer le vin, le partager, c’est aussi perpétuer une certaine idée de la société, et pourquoi pas, de la démocratie ? Je reste persuadé que l’on boit moins, et plus mal sous les dictatures... Votre dernière découverte ? Une bouteille issue d’un petit do-maine, à Uchaux, au nord du Vau-cluse : «Les Mourguettes», du do-maine éponyme, une cuvée choyée par Isabelle Guichard, vigneronne passionnée, humaniste, embrassant avec générosité les paysages har-monieux de Provence. Une vraie puissance aromatique, subjuguée de fruits frais. Je ne remercierai jamais assez ma consoeur Chantal Pelletier de m’avoir fait découvrir Isabelle, et son vin (et cette rencontre, c’est dans onziemesens.com). Vous promouvez autrement le vin, aussi ?Oui ! Je suis notamment honoré d’être le parrain de la cuvée de la Journée du Livre de Sablet (16/17 juillet), merveilleux terroir de vins généreux, élégants, équilibrés. ALIAS VICTOR K., LE ROMANCIER QUI AIME LE MONDE DU RENSEIGNEMENT, LA MUSIQUE SACRÉE ET... LE VIN«Sauvez Zelensky !» un thriller haletant dans l’actualitéLorsque le 24 février, la Russie a lancé son oensive sur l’Ukraine, Vincent Crouzet a passé un pacte avec ses deux éditrices, Sophie Charnavel et Françoise Delivet : écrire le second tome de «Service Action» en temps réel, pour une publication début juin. Pari réussi ! Sous l’alias de Victor K., il projette les femmes et les hommes de la DGSE dans l’enfer du champ de bataille contemporain, s’attachant à laisser opérer ses personnages dans la grande histoire, et à pénétrer les décors les plus secrets de la Répu-blique. On reconnaît, dans le sillage de son héroïne de choc, Athéna, chef du Service Action, le Président Macron en personne, au coeur du PC Jupiter. Lorsque le chef de l’État or-donne «Sauvez Zelensky !», s’engage alors une trépidante course contre la montre pour contrer les agissements des tueurs du maître du Kremlin. Un roman unique, surprenant, parfaite-ment documenté par l’un de ceux qui a aussi oeuvré pendant plus de vingt années dans l’ombre. «Sauvez Zelensky !» Éditions Robert Laont Vincent Crouzet avec Frédéric Desplats au domaine Florence AlquierV.Crouzet au domaine du Grand Jacquet©Matthieu Prier©Matthieu Prier

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12Elle ouvre les mains dans un geste de supplication. Autour d’elle, le quartier est en feu, les enfants ter-rorisés s’enfuient pieds nus, entraî-nés par un ot de gens en détresse qui courent on ne sait où, sans pou-voir rien emporter. Les habitations n’existent plus, des cris jaillissent de partout et une odeur âcre de n du monde se répand. Leur univers soudainement s’eondre dans les déagrations et les ammes. Si ce n’étaient leurs vêtements, cela pour-rait être à Marioupol ou à Kharkiv. La même violence indistincte. Mais c’était le 18 janvier 1976 quand les milices chrétiennes ont détruit le quartier de la Quarantaine, à l’est de Beyrouth, sous un déluge d’obus de tous calibres. Des cen-taines de morts devant l’objectif de la française Françoise Demulder. La Fondation World Press Photo a sélectionné son cliché comme Pho-tographie de l’année, la première qui fut décernée à une femme.Plus loin, Phnom Penh n’est plus qu’un paysage de désolation où des rescapés hagards errent sans but parmi les ruines et les cratères d’obus. Une autre ville martyrisée, devenue inhabitable. C’était la ca-pitale du Cambodge avant d’être dévastée par les Khmers rouges en 1975. La photographie de la fran-çaise Christine Spengler rappelle les monumentales peintures classiques de champs de batailles. Devant cette violence, elle s’est abstenue de mon-trer les cadavres calcinés pour té-moigner surtout des conséquences de la guerre sur les populations. Comment survivre au cœur de la catastrophe généralisée ?Là-bas, des Marines américains font irruption au domicile d’un dépu-té irakien dans le quartier d’Abou Ghraib, à Bagdad en novembre 2004. De quel côté est la peur, semble nous demander l’allemande Anja Niedringhaus, qui reçut le Prix Pulitzer pour son reportage en Irak ? C’est elle qui photographia aussi de petits Irakiens jouant si naturel-lement au milieu des ruines, comme d’autres enfants dans les squares ci-tadins bien loin des zones de guerre. L’inconscience est une protection psychologique mais elle n’empêche-ra pas de profondes traces à long terme. Si la photographe est, elle, FEMMES PHOTOGRAPHES DE GUERRE J-F MMUSÉE DE LA LIBÉRATION DE PARIS, JUSQU’AU 31 DÉCEMBRE 2022© Françoise Demulder / Roger-Viollet© Christine Spengler

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13bien consciente des risques, Anja Niedringhaus fut néanmoins tuée dix ans plus tard, en couvrant les élections en Afghanistan dans la province de Khost.Sur un autre continent, l’américaine Susan Meiselas couvrit les conits d’Amérique latine pour l’Agence Magnum. Ses photographies en couleur – alors inhabituelles pour des photos de guerre – lui valurent la Médaille d’Or Robert Capa. En juillet 1979 à Esteli au Nicaragua, sa photographie d’un jeune com-battant lançant un cocktail Molotov – ironiquement dans une bouteille de Pepsi – vers la Garde nationale est devenue extrêmement célèbre, en incarnant dans cette fraction de seconde l’esprit des luttes de libéra-tion. Elle a été reproduite maintes fois sur les couvertures des publi-cations des rebelles sandinistes et même sur le mur d’une église. Cette photo intervint aussi à un moment décisif de la Révolution, car le len-demain même, le dictateur Anas-tasio Somoza Debayle s’enfuit pré-cipitamment en abandonnant le pouvoir.L’exposition Femmes photographes de guerre met puissamment en lu-mière le regard de huit d’entre elles sur les violences de combat durant sécurité personnelle comme pour les conséquences de l’interpellation des puissants par l’image, le regard féminin est-il si diérent de celui des hommes ? En tous cas, le style de chacune de ces femmes se dié-rencie, soit par l’approche frontale des atrocités de la guerre, soit par l’esthétisme qui surgit du pathétique ou, au contraire, par le choix de ne pas montrer les cadavres et de se focaliser sur les conséquences sur la vie quotidienne dans la guerre. Si l’exaltation du combattant, plei-nement investi au service de sa cause, est aussi bien présente, sa propre détresse devant les dom-mages humains est tout autant mise en évidence. Les photographies de l’enfance dans la guerre se révèlent particulièrement émouvantes, dans l’incommensurable chagrin devant les corps de parents sans vie, dans l’incroyable banalité de jeux insou-ciants au milieu des gravats, comme dans l’enrôlement forcé de pré-ado-lescents que des adultes conduisent au combat pour de mauvaises rai-sons. A l’instar de la vieille femme de Bey-rout-est, cette puissante exposition incite le spectateur à ouvrir aussi les mains, paumes vers le ciel, comme pour demander « mais pourquoi » ?la guerre d’Espagne, en Allemagne en 1945, au Viêt Nam, au Sahara occidental, au Liban, au Cambodge, en Éthiopie, au Nicaragua, et plus récemment en Irak et en Afghanis-tan. Aujourd’hui, d’autres sont en Ukraine pour témoigner de l’impact de la guerre sur les populations ci-viles, comme la photographe ukrai-nienne d’Associated Press Evgeniy Maloletka. Son cliché d’une femme enceinte, évacuée sur un brancard et tachée de sang après le bombar-dement d’un hôpital pédiatrique de Marioupol, a ému le monde entier. Ni elle ni son bébé ne survécurent à l’attaque russe, alors que Moscou mit en cause la véracité de cette image.Si la prise de risque du ou de la photographe est la même, pour sa © Susan Meiselas/Magnum Photos© Anja Niedringhaus/AP/SIPA -

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14Timisoara ! Cette ville adorable si-tuée à l’Ouest de la Roumanie est un bijou à découvrir absolument. Trop nombreux sont ceux qui ne savent même pas où elle se situe ou qui l’as-socient seulement à la révolution de 1989 et à la chute du communisme en Roumanie. Mais Timisoara, c’est plus, beaucoup plus. Il s’agit d’une ville pétillante, empreinte d’histoire et tellement cosmopolite. Découverte, il y dix ans, j’y suis retournée à l’occasion du congrès de l’European Journalists Associa-tion, dédié cette année à la guerre en Ukraine. En 2011 le thème de la rencontre fut plus joyeux puisque, avec les confrères de l’EJ, nous avions organisé une séance du Par-lement européen avec les enfants des écoles de la ville. Des centaines de ballons aux couleurs du drapeau européen, symbole d’adhésion et d’espoir, coloraient le ciel. Un lundi matin, en bloquant la circulation, nous avions traversé la ville allant du centre jusqu’à l’université ; je garde le souvenir d’enfants bien plus sages que nous, les adultes ! Cette année, le thème central du congrès était la Guerre en Ukraine et son traitement géopolitique par les mé-dias ; à ce sujet, je reprends les mots d’un confrère : « C’est le débat le plus triste que j’ai eu à animer. ».Mais revenons à Timisoara et à ses couleurs.On l’appelle « la petite Venise de Roumanie » ou encore « la Petite Vienne » pour le style baroque des façades de ses bâtiments, surtout autour de la place de l’Union qui date de la dynastie des Habsbourg. Timisoara, c’est aussi une cité qui vit et palpite autour de ses trois grandes places, celle de l’Union, déjà citée, celle de la Liberté et celle de la Victoire. Au-delà de cette in-uence baroque, cette ville - une des plus grandes de Roumanie- est vraiment à part. Quand sa popula-tion se souleva contre Ceausescu,  L PTimisoaraVILLE-JOYAU 

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15en décembre 1989, Timisoara de-vint la première ville libre de Rou-manie depuis 1945 date à laquelle les communistes prirent le pouvoir. Pourtant, si on remonte l’histoire, en 1552 Timisoara fut occupée par les Turcs, chassés en 1716 par le prince Eugène de Savoye. Enn, en 1918 elle est devenue ociellement ville de la Roumanie. Une histoire pleine de rebondis-sements, source de diverses in-uences architecturales.En eet, située dans l’ouest de la Roumanie, Timisoara est célèbre pour son architecture sécession-niste, courant artistique autrichien. Place de la Victoire, la place cen-trale, est entourée de bâtiments de style baroque et de la Cathédrale orthodoxe métropolitaine, dotée d’un toit en mosaïque et d’une ga-lerie d’icônes. Elle a été construite entre 1936 et 1946 par l’architecte John Trăiănescu. Il s’agit d’un des bâtiments les plus hauts de la ville, vous l’apercevez de partout et, telle un phare, elle vous aide à trouver votre chemin.La place de la Victoire, proche de la rivière Béga qui traverse la ville, est entourée d’édices datant du début du XXème siècle. On apprécie aussi le style byzantin. L’ancien hôtel de ville est l’édice le plus imposant de la place de la Liberté, érigée entre 1731 et 1734 dans un style baroque, selon les plans de l’architecte italien Pietro del Bonzo. Aujourd’hui il abrite l’Académie de musique.La liste des œuvres d’art et des mu-sées est longue : de la cathédrale orthodoxe à la cathédrale Saint-Georges, mais aussi la grande syna-gogue, le collège Nicolas Lenau, le musée militaire, le musée d’art, le musée « mémorial » - de la révolu-tion de 1989 -, sans oublier le jardin zoologique...Statue de la Sainte Trinité - Place de l’UnionImmeubles à l’architecture sécessionniste

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Timisoara est idéale pour un long week-end mais aussi pour un séjour plus long an de visiter les environs et de s’imprégner des détails de l’histoire.Le centre-ville est une zone entiè-rement piétonne, une qualité qui invite à âner pour admirer son architecture. Au coucher du so-leil Timisoara prend des couleurs étonnantes et reste scintillante. Le passant peut aussi s’assoir sans être dérangé par les véhicules. Dès les premiers jours du printemps, les touristes s’y pressent car la ville et sa région bénécient de belles journées chaudes ; ses nombreux espaces verts ou encore la « Strada Alba Iulia », en plein centre, avec sa voute de parasols colorés vous pro-tègent de la chaleur estivale si vous déambulez en regardant les vitrines ou encore si vous préférez vous as-seoir pour déguster une bonne glace ou un cocktail de fruits.À Timisoara il fait bon vivre. Si vous avez perdu votre chemin, on vous renseignera très gentiment ; ainsi, un confrère fut accompagné jusque devant l’Hôtel Timisoara où nous résidions. À ce propos, je tiens à remercier ma consœur Lina Lucia Epure, Rédactrice en Chef de Ziua de Vest, qui a organisé toute la manifestation. Une tâche ardue d’autant plus que nous étions assez nombreux. Le congrès s’est déroulé à l’Hôtel même et pour le déjeuner nous nous dirigions vers le pub Zaza dont le personnel était très patient car nous arrivions tous ensemble et jamais à l’heure ! Il est vrai que le chemin nous menant au restaurant était fort agréable, notamment avec le franchissement de la rivière Bega. Lina nous t découvrir un restau-rant de poisson renommé, le Pesca-da ; ce fut l’occasion de déguster le fameux Orange Wine, un vin blanc biodynamique à longue macération, sans additifs chimiques, élaboré se-Les vignobles de Crava ARAMIC dans le BanatÉglise piariste bâtie par les moines sur les ruines de la mosquée turque, terminée 1736.16

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lon un procédé remontant à 8 000 ans dans le Caucase et surtout en Géorgie. À consommer avec modé-ration parce qu’il se boit très facile-ment mais il monte vite à la tête. Un nectar à déguster.Lors d’une soirée, notre collègue nous a amenés à Buzia, une ville de Roumanie située dans la région de Timi en Transylvanie, à envi-ron une trentaine de kilomètres de Timisoara. Buzia est située sur les bords d’un des auents du Timi, au milieu des vignes ; lors de cette escapade, nous nous sommes ren-dus à « Crama Aramic », une cave à vin unique dans le Banat, avec de fortes racines dans l’histoire locale où père et ls partagent la même passion et perpétuent une viticul-ture traditionnelle. Le spectacle de la nature, les courbes des collines, la petite chapelle perchée un peu plus haut, le coucher de soleil et la brise nous permirent de dissiper la chaleur de la journée et d’oublier un temps les misères du monde.Enn, on voudra bien noter que Ti-misoara, la belle cité roumaine, sera en 2023 la capitale européenne de la culture. Qu’il nous soit permis ici de saluer chaleureusement cette dé-signation ô combien méritée !P  V GKayak sul la rivière Bega«Strada Alba Iulia» - Umbrella streetPlace de L’Union

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18Vous êtes-vous déjà demandé pour-quoi la valise à roulettes n’existe que depuis le début des années 90 alors que la malle et la roue furent inventées des siècles avant ? Parce qu’il a d’abord fallu doter la malle d’une poignée pour en faire une va-lise, et que ce bond technologique contentait parfaitement la corpora-tion des porteurs de bagages. Ré-signons-nous donc au fait que cer-taines inventions demeurent isolées sans donner lieu aux innovations que leur combinaison permettrait, voire que leur importance reste in-soupçonnée de leur auteur.Joseph Jacquard en est un bel exemple. Fils de tisserand lyonnais et autodidacte de la mécanique, il mit au point le premier métier à tisser automatique en 1801. Il lui fallait produire du brocart en quantité, soierie ranée aux motifs complexes dont la réalisation tradi-tionnelle nécessitait l’intervention laborieuse de plusieurs ouvriers. Il étudia donc les inventions de Vau-canson, le célèbre facteur d’auto-mates, puis celles de Falcon et de Bouchon (Lyonnais bien sûr) qui ensemble, avaient travaillé à l’auto-matisation du métier à tisser. Vau-canson utilisait un cylindre autour duquel était enroulée une feuille de papier perforé, un dispositif juste susant pour reproduire de petits motifs. Basile Bouchon, en digne ls d’un fabricant d’orgues de bar-barie, imagina un ruban de papier perforé et des aiguilles opérant ligne par ligne. Plus tard, son as-sistant, Jean-Baptiste Falcon préfé-ra des cartons perforés liés par un lacet, tournant en boucle fermée. Jacquard en t la synthèse fonc-tionnelle. Le système mécanique lit les instructions encodées sur la carte perforée, des ls sont levés par des crochets que saisissent des rangées d’aiguilles selon les trous rencontrés et une nouvelle carte se présente à chaque passage de la na-vette. Ce dispositif externe permet la programmation et la réalisation de n’importe quel dessin par un seul opérateur. L’information stockée dans la carte est extraite puis traitée ; appréhendée sous sa forme la plus basique et la plus universelle : des trous et des espaces, des 1 et des O. Un système binaire pouvant décrire ou représenter n’importe quoi, de la plus petite à la plus grande échelle, bien au-delà de la production de somptueux brocarts. Tout était là et personne ne s’en apercevait !La machine de Jacquard inspira un autre pionnier, Charles Babbage. Il eut l’idée d’incorporer ces cartes à un supercalculateur à vapeur de son invention conçu pour le calcul de masse. L’élaboration de tables mathématiques, nautiques ou as-tronomiques dont la monstrueuse complexité serait terrassée par la machine, étaient jusqu’alors eec- C MDE JOSEPH JACQUARD À BILL GATES« DEMANDEZ LE PROGRAMME ! » -   

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19tuée à la main, tâche fastidieuse et génératrice d’erreurs potentiel-lement fâcheuses. Dotée de cartes pour les données et pour les ins-tructions, la machine ne fut achevée qu’après la mort de son inventeur qui accoucha néanmoins de l’ar-chitecture du premier ordinateur mécanique de l’Histoire en 1834. Babbage, lui aussi, ignora l’impor-tance de son invention. Comme il n’eut pas non plus la moindre idée du concept éminemment moderne de sa collaboratrice directe, une cer-taine Ada Lovelace.Lady Ada, mathématicienne et lle de Lord Byron, à moins que ce ne soit l’inverse, élabora dans sa célèbre « note G » de 1843, un algorithme avec boucle condition-nelle, considéré comme le premier programme informatique. Love-lace perçut tout le potentiel de ce calculateur dont les résultats, bien que numériques dans leur forme, ne devaient pas être assignés à leur condition de chires dans un uni-vers arithmétique. Il convenait se-lon elle, de les envisager en tant que données ou symboles généraux ma-nipulables. Visionnaire, elle prédit l’intelligence articielle et des cal-culateurs capables de programmer scientiquement la production de musique, de poésie ou de peinture. Ses travaux fondateurs en termes de traitement de l’information furent complètement ignorés pendant un siècle. Leur formidable potentia-lité était en eet insoupçonnée de la société victorienne qui n’avait d’yeux que pour les admirables et monumentales machines du siècle de la vapeur. Cette injustice s’es-tompe. Outre le fait qu’un langage de programmation informatique lui fut dédié en 1978, Ada suscite elle-même, par la profondeur de sa théorie et sa vie romanesque, un vif intérêt populaire. Il fallut attendre 1936 pour qu’Alan Turing remanie ces concepts en posant que ce qui est calculable est décomposable en un nombre ni d’étapes, chacune réalisée par une machine pouvant traiter n’importe quelle donnée. Malgré son rôle crucial pour casser le code de la machine nazie Enigma, ce brillant cerveau au destin outrageusement brisé par la morale, fut à l’instar de Lovelace, tardivement connu de la communauté scientique et du grand public. Il est donc plus que temps de rendre un hommage appuyé à ces précur-seurs de génie, qui sans le savoir, ont jalonné le chemin qui mena à la révolution numérique que nous vi-vons. Sans oublier de remercier ces modestes pionniers du quotidien : Alfred Krupa, artiste un peu touche à tout ainsi que Bernard Sadow, in-dustriel, dont les contributions ins-pirèrent largement Robert Plath, un pilote de ligne qui conçut le premier bagage-cabine sur roulettes en 1987.DE JOSEPH JACQUARD À BILL GATES« DEMANDEZ LE PROGRAMME ! »P  DRCalculateur à vapeurAda Lovelace Byron

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20 Perles de Culture EugènE ChristophE forgE sa légEndEdE la limitE du tEst d’intElligEnCEJuillet 1913. La période de « la belle époque » vit sa dernière an-née. Mais, insouciants, les Français ne le savent pas. Les coureurs du Tour de France se sont élancés avec pour grand favori Eugène Christophe alias « le vieux Gaulois » ; en eet, le tracé très monta-gneux de l’édition 1913 convient à ce grimpeur d’exception.Dans l’ascension du redoutable col du Tourmalet - 2 115 mètres - Christophe, a lâché tous ses concurrents. Il entame la descente… il s’envole vers une victoire certaine lorsque qu’il heurte une grosse pierre et chute lourdement. Indemne, le champion se relève et constate les dégâts : la fourche de son vélo est brisée !À l’époque, le règlement du Tour est drastique : interdiction d’em-prunter la machine d’un coéquipier et, surtout, toute réparation doit être eectuée par le coureur lui-même !Qu’à cela ne tienne ! « Le vieux Gaulois » met son vélo sur l’épaule et prend la direction de Sainte-Marie-de-Campan, un village situé 10 kilomètres plus bas. Arrivé sur place, il se rue chez le forgeron et, règlement oblige, soude lui-même la pièce de sa bicyclette ! Puis, il reprend la course et rallie l’arrivée avec 4 heures de retard ! Eugène Christophe terminera le Tour à la 7ème place. Un an plus tard, l’Europe entière s’embrase. Mobilisé, Christophe prendra part à la tragédie du premier conit mondial.  A C  J-F M © Pixabay« Félicitations, tu viens de rater le test de Turing ! ». Dans le milieu des geeks, il s’agit en fait d’une invective à une personne dont les propos ne s’élèvent même pas au niveau d’intelligence de machines. Voire… car celles-ci ont fait de fascinants progrès. Pour la 1ère fois ce printemps, le système d’intelligence articielle de la start-up française NukkAI vient de battre plusieurs champions internationaux de bridge, un jeu à quatre très dicile à simuler.Alan Turing était un fulgurant mathématicien britannique qui contribua à décrypter la machine de chirement allemande Enig-ma, pendant la guerre. Il fut aussi l’auteur du fameux test de Turing, destiné à évaluer la capacité d’une machine à égaler l’intelligence humaine. Le compositeur écossais Julian Wagsta s’en inspira, il y a exactement 15 ans, pour son opéra en un acte e Turing Test. C’est l’histoire d’une jeune doctorante prise entre deux chercheurs – un séducteur invétéré et un alcoolique – en compétition pour construire un ordinateur qui réussirait le test. Hélas, la machine échoua, faute de maîtrise des passions humaines. Résultat : trois sans atout et deux de chute...e Turing Test par Julian Wagsta (extraits)

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21Pandémie, dérèglement climatique, montée de l’intolérance, retour de l’ination, vie chère, marathon élec-toral, inquiétude liée à la guerre en Europe ... Pourtant réputés rési-lients, les citoyens de l’Union Eu-ropéenne, sont fatigués. Nos conci-toyens ont subi, et parfois subissent encore, ces multiples épreuves. Ils éprouvent le besoin de mettre sac à terre pour souer un temps.À l’approche de l’été, nous aspirons en eet à changer d’air et à nous détendre quelque peu. Pour ceux qui ont la chance de partir en va-cances, les grandes migrations de juillet et août qui approchent se-ront source de repos et de réjouis-sances familiales ; par ailleurs, l’ar-rivée des beaux jours est rythmée par le retour des festivals cultu-rels d’Avignon, Rome, Berlin, Ca-dix ou encore Amsterdam. Enn, les amoureux des joutes sportives s’enamment pour le quatorzième triomphe de Raphaël Nadal au tour-noi de Roland Garros, s’étonnent de la victoire surprise de l’Austra-lien Hindley dans le Giro d’Italia ou échafaudent des pronostics pour l’épreuve-reine du cyclisme : l’actuel Tour de France.Dans la Rome antique, le poète satirique Juvénal disait que pour gouverner sans dicultés, les Em-pereurs oraient à la plèbe Panem et circenses ; si à l’époque ce juge-ment était lesté d’une forte conno-tation péjorative, aujourd’hui les divertissements aussi bien culturels que sportifs sont consubstantiels au fonctionnement et à l’équilibre de nos démocraties.Pour autant, nos lassitudes occiden-tales, si préoccupantes soient-elles, sont toutes relatives si nous les met-tons en perspective avec les souf-frances indicibles d’un autre peuple européen : celui de l’Ukraine dont, au fond, le seul crime est de vouloir choisir librement un modèle démo-cratique semblable au nôtre.Besoin d’une large bouée d’oxy-gène ici, aspiration à la paix à l’autre bout du continent. Au-delà de la so-lidarité naturelle que nous pouvons éprouver vis-à-vis des Ukrainiens, la diérence d’échelle et de nature des besoins des uns et des autres nous amène forcément à observer une certaine décence. Billet Alain CamilleriOXYGÈNE !

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22Les routes que nous allons emprun-ter pour visiter des lieux magni-ques ne sont pas faites d’asphalte ou de terre, mais de longs rubans d’eau qui relient des joyaux archi-tecturaux d’autrefois. En partant de Venise, nous pouvons nous rendre dans l’arrière-pays de la Vénétie en suivant le Naviglio del Brenta qui nous conduira aux splendides villas que la noblesse vénitienne a fait construire sur les rives du euve depuis 1345. Ces merveilleuses villas ont abrité les amours de Casanova et ont été les premières à entendre les vers de Lord Byron ; elles ont également vu Tiepolo créer ses œuvres et Palladio dessiner les superbes demeures qui ont ensuite surgi dans toute la Véné-tie et au-delà. C’est précisément en La région de la Vénétie compte envi-ron 2000 villas bâties entre le 15ème et le 16ème siècle dont près de 70 tout le long du canal. Les nobles rejoignaient leurs somptueuses rési-dences en embarquant à bord d’un bateau, le «Burchiello» qui mouil-lait le long des quais de leurs mai-sons vénitiennes puis traversaient la lagune pour rejoindre le canal et pénétrer enn dans la campagne vénitienne. Ce long trajet pouvait durer entre huit et dix heures, car il fallait passer des écluses et, sur cer-tains tronçons, le bateau devait être tiré par des chevaux ; mais, confor-tablement installés, les nobles eec-tuaient un voyage agréable au cours duquel ils mangeaient, buvaient et même faisaient l’amour, comme l’a écrit Casanova dans ses mémoires.La première villa que nous trou-vons en quittant Venise est la Vil-la Foscari, construite par Palladio en 1550 pour l’une des familles les plus puissantes de la Sérénissime, les frères Alvise et Nicolò Foscari. Cette résidence a été bâtie dans un style majestueux, presque royal, que VILLAS D’EXCEPTION DE LA VÉNÉTIE M Bsuivant ce euve que l’on peut se rendre compte de la magni-cence de la Sérénis-sime à une époque où elle était l’une des grandes puissances maritimes, où le commerce était o-rissant et où la no-blesse construisait ses maisons sur les rives du canal del Brenta pour y passer ses vacances d’été.Musée national de Villa PisaniVilla Foscari - 

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23l’on ne retrouve dans aucun autre édice palladien. Les décorations intérieures réalisées par Battis-ta Franco et Gian Battista Zelotti contribuent également à en faire l’une des plus belles villas. En 1973, la bâtisse est redevenue la propriété de la famille Foscari qui y vit et qui, conformément à la tradition, n’a pas voulu d’éclairage électrique : à ce jour, on utilise encore des bougies. La Villa Foscari en fait s’appelle la Malcontenta. Il semble que ce sur-nom provienne d’une légende se-lon laquelle une dame de la maison Foscari fut reléguée dans la solitude entre ces murs jusqu’à la n de sa vie en raison de sa conduite scanda-leuse ; on raconte que nul n’aperçut cette personne, pas même un bref instant aux fenêtres.Un autre beau bâtiment est la Villa Pisani. À égale distance de Padoue et de Venise, elle est considérée comme la reine des villas pour sa beauté. Dans ses 144 chambres dé-corées par les peintures de Tiepolo, d’illustres personnalités de la pein-ture, de la littérature et de l’histoire y ont dormi. Les têtes couronnées d’Europe y sont passées, comme le comte Paul Petrowitz, héritier du trône de toutes les Russies ainsi que Maria eodorovna de Russie en 1782 ; plus tard, le roi Gustav III de Suède y a également séjourné. Au l du temps, plusieurs proprié-taires se sont portés acquéreurs de la prestigieuse résidence, parmi les-quels la Couronne d’Autriche, Na-poléon Bonaparte, son ls adoptif Eugène de Beauharnais puis la Mai-son de Savoie ; enn, ces murs ont été les témoins de la rencontre entre Mussolini et Hitler.Sublime à l’intérieur, elle ne l’est pas moins à l’extérieur. Son jardin est l’un des plus beaux d’Italie, conçu avant même l’édication de la villa avec un labyrinthe en son centre auquel ont été ajoutés plus tard des allées, des pavillons, des canaux ainsi que des tours, des serres et des galeries. Les concepteurs de ce parc ont certainement voulu s’inspirer de Versailles, même si aujourd’hui il a son propre style, sorte de mélange des jardins italiens, anglais et fran-çais. En poursuivant notre itinéraire, nous arrivons à Mira et nous trou-vons la Villa Widmann, avec son plan carré classique, richement décorée de stucs et de fresques qui incitent à regarder le balcon où des musiciens jouaient autrefois pour divertir les invités. À l’intérieur, en passant d’une pièce à l’autre, on peut admirer les meubles anciens et les magniques lustres de Murano et s’émerveiller de la beauté des murs ornés de fresques. Le parc de la villa n’est pas moins beau, avec son petit lac entouré de cyprès et, non loin de là, le belvédère en fer forgé où, comme Goldoni le conrme dans ses mémoires, des rencontres ro-mantiques clandestines eurent lieu.Ce ne sont là que quelques-unes des villas d’exception que l’on peut visiter en empruntant le Burchiello et en s’aventurant sur le Naviglio del Brenta. P  DRVilla Widmann FoscariVilla Widmann Foscari

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24Un cachalot sur la plage du Havre mais, fort heureusement, il ne s’agit pas d’un cachalot échoué comme cela arrive trop souvent. Dernière-ment une orque est morte non loin de la ville normande, apparemment atteinte d’une maladie de peau contractée dans l’eau douce. Une parmi tant d’autres.Il s’agit de « e Whale – Le grand Cachalot », de l’Atelier Van Lieshout, qui trône en majesté sur la grève. La mer, cette puissance amie ou enne-mie pour ceux qui la connaissent bien. Bienveillante mais qui, sou-dain, peut devenir terriante et vio-lente. La Mer avec un « M » majus-cule ; cette étendue d’eau qui nous berce paisiblement ou nous coule sans pitié. Les mers de toute la pla-nète, qui ont connu des voyageurs à la recherche de nouvelles terres, des batailles navales, des pirates et main-tenant des bateaux de croisière … Cette mer est habitée ; on l’oublie trop souvent en la polluant et en tuant son peuple. Un peuple dont le cachalot fait partie.Mais le Grand Cachalot nous ra-mène plutôt à « Moby Dick » - ou « e Whale », d’Herman Melville, avec sa première publication à Londres en 1851 - considéré, à juste titre, comme un des chefs-d’œuvre de la littérature américaine ! par la suite, Moby Dick connut plusieurs versions sur le grand écran. Celle de 1956 de John Hudson, inoubliable, avec Grégory Peck dans le rôle du Capitaine Achab qui, capitaine d’un baleinier, rencontra Moby Dick. Son corps fut mutilé par le cétacé, la baleine blanche lui ayant arraché une jambe, remplacée par une pro-thèse en ivoire. Dès lors, le capitaine du Pequod n’eut qu’une idée en tête : retrouver la baleine blanche et se venger. Une bataille personnelle entre Achab et Moby Dick qui met-tra en péril son équipage. L PLe Havre UN CACHALOT TRÈS HUMAINCombien de livres ont été consacrés à la mer et ses habitants ? « Le Vieil Homme et la Mer - e Old Man and the Sea - » dans lequel Ernest Hemingway décrit le combat épique entre un vieux pécheur et un gi-gantesque marlin. Une lutte sans merci qui représente le combat de l’homme face à la nature.e Whale – Le grand Cachalot©Paul evenet©Hybride Diusion 

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25P DRDepuis son installation sur les galets du Havre, le Grand Cachalot a reçu la visite d’au moins 1500 enfants ac-compagnés de leurs enseignants. Et voilà que l’histoire devient moins sombre. Le cachalot leur fait pen-ser à la baleine de l’histoire de Pinocchio. La tendresse des enfants opposée à l’esprit de vengeance de certains adultes ?A l’intérieur de ce cachalot, on dé-couvre deux personnages. Le pre-mier est en marche, sa silhouette est ne et dépouillée et elle n’est pas sans rappeler celles de Giacometti. Sa main surdimensionnée est ou-verte et tendue tandis que l’autre personnage est visiblement dans l’opulence et l’abondance. Comment ne pas y voir, l’impossibilité crois-sante pour un grand nombre d’ar-tistes de vivre de leur art et de faire carrière face à la réussite d’une pe-tite minorité couverte d’honneurs ?L’auteurJoep Van Lieshout est un artiste néerlandais qui vit et travaille à Rotterdam. Son œuvre est mondia-lement reconnue par les passionnés de l’art contemporain. Il expose de New York à Venise en passant par Shanghai ou São Paulo. Ses projets imposants transcendent les disci-plines, chevauchant l’art, le design et l’architecture. Oui, mais… On doit désormais dire « Atelier Van Lieshout ». Joep Van Lieshout est un artiste à part, qui cherche comment créer un immeuble, une machine…à la limite de la transgression artis-tique. En 1995 il a décidé de chan-ger le nom en « Atelier Joep Van Lieshout ». Il s’en explique : « Je ne suis pas un artiste, je ne suis pas un génie, je travaille avec une équipe de personnes et ensemble nous créons ce qui sort de mon esprit diabo-lique. ». En vérité, ce partage entre l’équipe et l’artiste est le vrai coup de génie : en eet, rester humble et être artiste en même temps n’est pas donné à tout le monde. e WhaleLe Grand Casino du Havre présente du 3 juin au 2 septembre 2022 e Whale – Le Grand Cachalot une œuvre monumentale d’Atelier Van Lieshout Plage du Havre / Norman-die.L’« Atelier Van Lieshout » a choisi de réaliser un grand cachalot en acier Corten, de 14 mètres de long qui sera exposé sur la plage du Havre du 3 juin au 2 septembre 2022 sur commande de Linda Mor-ren, la directrice artistique du Groupe Partouche et curateur de l’exposition, qui est l’un des princi-paux partenaires privés du monde de la culture en France : mécène du Festi-val d’art lyrique d’Aix-en-Provence, de la Biennale d’art contemporain de Lyon, du Festival de jazz d’Antibes Juan-les-Pins... Propriétaire du Grand Ca-sino du Havre, qui a initié depuis 2006, sous la direc-tion artistique de Linda Morren, la Biennale d’art contemporain du Havre.Website: «https://casino-lehavre.partouche.com/agenda/4077-the-whale-le-grand-cachalot »Joep Van Lieshout dans le Cachalot ©Hybride Diusion©Hybride Diusion -

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26 A CLa longue phase électorale qui vient de s’achever en France fournit l’occasion de s’interroger sur l’avenir des institutions léguées par Charles de Gaulle voici 65 ans et d’explorer quelques pistes de réexion sur l’évolution de celles-ci. Mais auparavant, un retour en arrière est utile pour replacer dans son contexte historique la mise en place de l’actuel atte-lage institutionnel. FAUT-IL MODERNISER LES INSTITUTIONS ?à un scrutin majoritaire ; cette der-nière modication facilite l’obten-tion de majorités stables permettant de gouverner dans la durée. Après l’attentat du Petit Clamart, le gé-néral de Gaulle consolida l’édice institutionnel en faisant adopter par référendum l’élection du Président de la République au surage univer-sel direct.Une constitution à la fois solide et soupleDurant les années 60, certains ob-servateurs ont estimé que la Consti-tution avait été « faite sur mesure par de Gaulle et pour de Gaulle », ce qui sous-entendait que ce texte ne durerait que le temps du mandat de l’homme du 18 juin. Or, ce pronos-tic s’est avéré erroné, puisque depuis le départ du général, sept présidents ont été successivement élus et réé-lus. De plus, la Loi fondamentale de 1958 a permis plusieurs alternances politiques et trois cohabitations. Enn, pour être complet, notons que depuis son entrée en vigueur la Constitution a connu vingt-quatre retouches, certaines mineures, d’autres plus signicatives.Charles de Gaulle à la manœuvreLes institutions de la Vème Répu-blique établies en pleine guerre d’Algérie ont été conçues pour évi-ter l’instabilité ministérielle de la IVème République durant laquelle pas moins de 22 gouvernements se sont succédé en 12 ans.Pour rompre d’avec ce que de Gaulle appelait « le régime des partis », le législateur renforça les pouvoirs du président au détriment du par-lement et changea la loi électorale, passant d’un scrutin proportionnel - 

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27La révision de trop ?En octobre 2000, à l’initiative de l’ancien président Giscard d’Es-taing, la durée de mandat présiden-tiel est ramenée par référendum de 7 à 5 ans. Par ailleurs, un an plus tard, le parlement vote l’inversion du calendrier électoral ce qui signi-e que le renouvellement des dépu-tés aura désormais lieu juste après l’élection du Chef de l’État. Cette disposition donne au président ré-cemment élu de bonnes chances de disposer d’une majorité conforme à sa sensibilité politique, et donc l’as-sure de pouvoir gouverner comme il l’entend.Cependant, à l’expérience, ces der-nières modications produisent de forts eets négatifs : le raccourcisse-ment du mandat présidentiel dimi-nue le temps utile de la gouvernance d’autant que la dernière année du mandat se trouve vampirisée par les campagnes électorales qui, déjà, se prolent à l’horizon. D’autre part, les électeurs d’opposition ainsi que les abstentionnistes, dont le nombre ne cesse de s’accroitre, ont le sen-timent qu’élu avec une majorité de députés à sa main, le pouvoir exé-cutif pourrait faire strictement ce qu’il veut pendant cinq ans sans faire grand cas des revendications de ceux qui ne se sentent pas re-présentés : le mouvement des gilets jaunes a été l’expression de ce senti-ment. Dans la même veine, nous ve-nons de le voir, l’eet amplicateur du mode de scrutin peut se retour-ner contre le président réélu dans un contexte très tendu et envoyer à l’Assemblée une forte représentation des mécontentements, rendant ainsi le pays dicilement gouvernable. P DRChanger de République ou chan-ger la République ?Après les élections générales du printemps 2022, il est permis de s’interroger sur l’avenir des insti-tutions françaises sur lequel le lé-gislateur devra rééchir. D’un côté, les tenants du coup de torchon penchent pour que Marianne passe son examen d’entrée en 6ème ; de l’autre, les plus modérés et, semble-t-il les plus nombreux, souhaitent une série d’ajustements forts desti-nés à moderniser l’actuelle Consti-tution qui, au global, a su faire preuve d’adaptabilité.Quelques pistes de réexion pour une nouvelle architecture institu-tionnelleQuelles pourraient être les réformes gommant ces imperfections qui contrarient le bon fonctionnement de la démocratie ?Le découplage entre la présiden-tielle et les législatives recueillerait sans doute l’approbation d’une ma-jorité de citoyens ; pour accentuer cette séparation, le retour du sep-tennat -non-renouvelable-, laissant le Chef de l’État gouverner sans se préoccuper de sa réélection, et des législatives xées à mi-mandat du président pourraient faire sens. Ainsi, les Français auraient le recul nécessaire pour valider ou sanction-ner l’action de l’exécutif.Enn, le mode de scrutin actuel pourrait être pondéré par une dose signicative de proportionnelle permettant d’obtenir une représen-tativité plus juste des diérentes forces politiques. Cette esquisse de réaménagement atténuerait la logique « du camp contre camp » et contribuerait, peut-être, à l’émergence de majo-rités d’idées portées par de larges coalitions s’accordant sur des pro-grammes de compromis.Michel Debré, ministre de la Justice, présente l’exemplaire original de la Constitution de la Vème République, le 07 octobre 1958 à Paris

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28La lenteur de la justice tient principalement à son manque de moyens. Et, si depuis l’ar-rivée d’Éric Dupond-Moretti place Vendôme, les crédits ont augmenté, la justice n’est tou-jours pas dotée des moyens né-cessaires à l’accomplissement de ses missions. Le budget de la justice en France est de 8,9 milliards d’euros en 2022, y compris les 3,4 milliards d’eu-ros de crédits alloués à l’admi-nistration pénitentiaire, auquel il faut ajouter les 450 millions d’euros dévolus au fonction-nement de la justice adminis-trative. Une somme dérisoire au regard des 24,6 milliards d’euros aectés au budget de l’enseignement supérieur et de la recherche dans notre pays. Aussi, rapporté au PIB/Habi-tant ou si l’on compare la part de la justice dans les dépenses publiques, la France se classe en queue de peloton des pays européens. Un comble pour la patrie des droits de l’homme qui manque de magistrats, de greers et…de ramettes de pa-pier et de consommables.En plus d’être lente la justice est si coûteuse qu’elle nit par donner raison à Eugène Pottier, l’auteur des paroles de L’internationale, pour qui « le droit du pauvre est un mot creux ». Une partie impor-tante de la population est mal défendue, quand elle ne se ré-signe pas tout simplement à ne pas faire valoir ses droits. La France consacre entre 5 et 10 fois moins par habitant pour l’aide juridictionnelle que cer-tains pays comme les Pays-Bas, l’Angleterre ou la Norvège.Mais, comme nos nances pu-bliques ne sont pas extensibles, la solution moderne, comme pour la santé, passe par la mu-POUR UNE JUSTICE À LA PORTÉE DE TOUS P C - A  B  P,    P.« Que dieu nous garde de l’équité des parlements ». Cet adage fort populaire sous l’An-cien Régime concentrait toute la méance accumulée par la population à l’encontre de la manière dont la justice était rendue dans le royaume de France. Cette déance pro-fonde dans l’appareil judiciaire fut un des moteurs puissants du désir d’égalité en droit qui conduisit à la Révolution fran-çaise. Depuis, une justice indé-pendante, de qualité et acces-sible à tous est consubstantielle à la conance que les citoyens peuvent éprouver à l’égard des institutions. L’indépendance de la justice a considérablement progressé ces dernières années et il est loin le temps où les puissants se croyaient intou-chables ainsi qu’en témoignent les nombreuses condamna-tions dont des hommes poli-tiques, jusqu’au plus haut som-met de l’Etat, ont fait l’objet récemment.Pourtant cette déance envers la justice demeure et à même progressé ces dernières années. La raison en est simple : notre justice est trop lente et trop coûteuse. - 

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29cats correctement rémunérés et qui, parce qu’il existerait un tiers-payeur, seraient dégagés de l’angoisse d’équilibrer leurs activités et ne rechigneraient plus à défendre les pauvres. An de rationnaliser les coûts de fonctionnement, ces profes-sionnels seraient encouragés à se regrouper avec des spéciali-tés diérentes et complémen-taires en maisons de la défense qui, à l’image des maisons et des centres de santé mutua-listes ou publics, assureraient la prise en charge correcte de leurs clients. On ne devient pas médecin pour s’enrichir, mais d’abord pour assouvir la passion de soigner et de sau-ver des vies. De même, on ne devient pas avocat pas passion du lucre, mais pour exercer la noble mission de la Défense. An de garantir l’indépen-dance professionnelle de l’Avo-cat, le contrôle déontologique serait exclusivement réservé, comme aujourd’hui, aux Bar-reaux. Le contrôle de produc-tivité serait du ressort d’une institution ad hoc composée de représentants de la profes-sion et de la caisse de sécurité sociale judiciaire ainsi crée.Enn, il existerait toujours la possibilité de choisir un avocat hors secteur 1 libre de xer ses honoraires et dont la prise en charge reviendrait exclusive-ment au client qui serait le plus souvent une entreprise, une grande collectivité ou une per-sonne fortunée.Un tel système dont j’ai briè-vement et très imparfaitement élaboré les contours permet-trait peut-être de réconcilier les françaises et les français avec l’idée d’égalité devant l’ac-cès à la justice. Un vœu pieux ?tualisation des coûts, par la création d’une sécurité sociale judicaire. Fusions-acquisitions, plans sociaux, transactions immobilières, montages s-caux, le droit draine beaucoup d’argent mais il est très mal et très inégalement réparti. Voir ses droits reconnus et défen-dus est aussi important dans une société démocratique que d’être convenablement soigné. Un tel nancement ne serait pas impossible à garantir par l’instauration d’une cotisation sociale spécique payée par les personnes physiques et mo-rales à laquelle s’ajouterait une taxe raisonnable sur le chire d’aaires des professions du droit et une taxe sur les ux gé-nérés par l’activité du droit.Comme pour la sécurité so-ciale, un secteur 1 du droit serait constitué par des avo-

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lit à une farandole de fruits frais. Un spectacle qui n’a rien de mièvre ; le dessert s’exprime au contraire tout en puissance maitrisée, dans un jeu harmonieux de mouvements et d’équilibre, de fougue et de dou-ceur. Une chorégraphie simple et ecace qui s’eectue en deux temps pour succomber en moins de trois mouvements. Dans un premier temps, le croquant de la meringue vient contrebalancer le moelleux de la chantilly. Le second temps, assez technique et enchaîné dans la foulée, conduit l’acidité des fruits à cingler le goût sucré de la meringue tout en soulignant la rondeur de la crème. Pour se livrer à l’exercice, le kiwi est évidemment un excellent participant, à la fois fruité et acide, comme le fruit de la passion ainsi que tous les fruits rouges dont les coulis écarlates donneront un look « badass » à ce dessert. Il arrive même qu’on assiste à l’arrivée dramatique de la boule de glace venue livrer son ultime combat avec le chocolat fon-du ! Une interprétation de la Belle Hélène dans un répertoire diérent mais qui respecte les codes.Notons que sa version déstructurée existe déjà, une authentique recette anglaise répertoriée sous le nom singulier et familier d’Eton mess. Un dressage punk où les éléments sont éclatés dans une explosion de crème, la meringue crumble-isée et les fraises éparpillées façon puzzle. Tout ça à cause d’un pique-nique or-ganisé à Eton (Berkshire) qui selon la légende, aurait mal tourné après qu’un convive un peu distrait se soit assis sur une pavlova apportée pour l’occasion. Un joyeux bordel au fond de la boite !Le spectacle se termine sans une seconde d’ennui ou de fatigue. Une fois ces mouve-ments bien exécutés, votre raison vous dit que ce dessert est un peu riche, tandis que votre deuxième cerveau, tout juste échaué, en en-chainerait bien d’autres ! Une preuve incontestable que ce dessert est tout à fait digne de la plus aérienne des ballerines.À vue de nez, on situerait l’origine de la pavlova vers l’Est en penchant même, sans trop se mouiller, vers une re-cette traditionnelle russe. Perdu ! Ce dessert n’a rien de russe, même s’il tient eectivement son nom d’Anna Pavlova, une icône du clas-sique, danseuse étoile du Ballet im-périal de Saint Pétersbourg, décédée en 1931. L’origine de cette recette est controversée, l’Australie et la Nouvelle Zélande en revendiquant toutes deux la paternité. Quelque part entre Perth et Wellington où la Pavlova t escale lors d’une tournée internationale, le chef d’un hôtel lui dédia en eet ce dessert. Ce gâteau est une base de meringue recouverte de crème chantilly servant de O N S A L I v E p O U RLA PAVLOVA  C M30« L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION »

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« L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION »

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